mardi 29 avril 2008

Holisme et totalitarisme

Par la philosophe Chantal Delsol (lefigaro du 29-4).
À force de se considérer comme le parangon du monde, l'Occident a fini par tout mélanger dans sa désapprobation en prenant la mauvaise habitude de loger à la même enseigne tous les régimes qui lui ressemblent trop peu.
On ne peut pas identifier une autocratie ordinaire au totalitarisme communisme qui répond à une volonté utopique de refaçonner autrement le monde humain, de le «renaturer ». Il y a là une idée profondément terroriste, parce que destructrice de réalité.
Les sociétés totalitaires sont des antimondes, ou des non-mondes, ou des sociétés de l'immonde.
Il n'en va pas de même pour une autocratie comme la Chine. Il s'agit là d'un régime politique historiquement bien connu qui ne se fonde pas sur la volonté de nier l'humain réel et de le transformer en quelque ange improbable. Il s'enracine seulement dans une vision de l'homme qui n'est pas la nôtre. Il considère le gouvernant comme un père, les gouvernés comme des gens immatures qu'il faut mener à la vertu préalablement définie, avec bonté et fermeté.
Il semblerait légitime de boycotter des JO organisés par Hitler ou par Staline ou par Pol Pot, parce qu'ici on utiliserait notre humanisme dans le but inavoué de fabriquer des robots ou des zombis. Mais il est à la fois prétentieux et injuste d'ostraciser toute culture qui récuse notre modèle. Nous finissons par identifier notre particularité à l'universel au point de ne plus supporter aucune différence. Et nous nous croyons si seuls au monde dans notre prétendue supériorité que nous mêlons indistinctement, dans la même désapprobation, les criminels avérés et les dissemblables mystérieux. Confusion accablante. Là où les totalitarismes ourdissent un rapt d'être, les autocraties nourrissent une autre image de l'être.
Au fond, la spécificité de l'Occident, ce n'est pas la défense des droits de l'homme, mais la défense des droits de l'homme comme individu. Les Occidentaux ont une tendance, pernicieuse et sotte, à mettre dans le même sac le holisme (vision de la société comme communauté où l'individu n'y existe vraiment comme valeur que dans son groupe, sans lequel il perd sa signification) et le totalitarisme : ils sont si obsédés par l'individu souverain qu'ils confondent un homme inscrit dans sa communauté et un homme dénaturé.
Il serait nettement préférable de mettre notre ardeur à combattre les derniers régimes totalitaires que sont la Corée du Nord et Cuba, qui règnent sur des antimondes ; plutôt que de nous acharner sur des impérialismes juste comparables à nos anciens colonialismes. Les premiers sont nos ennemis par nature, parce qu'ils sont les ennemis de la condition humaine. Les seconds sont des autres, qu'il serait insensé de vouloir nous ressembler.

Probablement, trop de bon sens d'un coup pour nos droits-de-l'hommisme patentés et écervelés.